RETOUR SUR NUMÉRICRITIC’ – SÉANCE #2 (30/04/2025)
Notre cycle NUMÉRICRITIC’ est une invitation à échanger sur notre rapport aux outils numériques, en partant de vos expériences, de vos analyses et de vos pratiques. Objectif : se positionner et agir plus librement, individuellement et collectivement, face à la numérisation du monde.
Notre deuxième rencontre, « Le Numérique : un rouleau compresseur », au Café Joli, a confirmé l’intérêt d’un premier noyau de participantes pour des échanges et des réalisations inscrits dans la durée.
Voici, résumées en quelques mots, quelques problématiques qui ont été débattues lors de cette deuxième rencontre :
1) Il faut distinguer l’usage « obligatoire » et l’usage « récréatif » du Numérique
En effet, personne n’est obligé d’utiliser tel ou tel réseau social, site de rencontre, jeu vidéo en ligne, etc (bien que la pression sociale soit très forte).
Par contre, il y a des « services numériques » que nous sommes tous et toutes contraints d’utiliser, pour des usages fondamentaux (administration, banque, mobilité, etc.)
Ces deux usages posent des questions tantôt similaires, tantôt différentes.
2) La numérisation croissante crée un problème majeur d’accès aux droits, qui a des conséquences en cascade
> La difficulté du langage administratif est multipliée par les outils numériques, eux-mêmes complexes et difficiles à utiliser par toutes et tous.
> Il y a une discrimination financière quand un service « en ligne » est gratuit ou bon marché, alors qu’un service « en présence » ou par téléphone est payant ou plus cher. C’est valable pour les acteurs privés (banques) et publics (administrations).
> Il y a aussi une discrimination quand le service « en présence » ou par téléphone est rendu presque inaccessible (temps d’attente interminable, coût d’un long appel téléphonique, délais de rendez-vous très importants, etc.)
> Difficile ou impossible de s’opposer à une plateforme en ligne quand on rencontre un problème : on ne sait pas qui contacter, ou alors c’est uniquement par mail et on ne reçoit parfois aucune réponse (une participante raconte sa mésaventure avec une réservation sur le site Booking.com : impossible de savoir vers qui se tourner pour obtenir réparation d’une irrégularité).
> Dans certaines écoles, le recours à des « applis » multiples et complexes (à la place d’échanges physiques et de proximité) compliquent la vie des élèves et de leurs parents, provoquant parfois des décrochages.
3) Il est essentiel de maintenir des alternatives aux canaux numériques
> Souvent, ce sont les services sociaux et l’associatif qui doivent répondre aux effets pervers de la numérisation chez leurs usagers le plus fragiles. Or ils n’ont pas les ressources pour cela (et sont souvent déjà saturés).
> Ces associations et ces services sociaux deviennent des sous-traitants de l’Etat, censés remédier aux défaillances de ce dernier. Et cela alors que ces structures ont d’autres missions qu’elles ont déjà du mal à remplir (lutte contre la pauvreté, assistance administrative, soutien aux familles, etc.)
> Il ne s’agit pas de supprimer le canal numérique, mais il faut absolument maintenir d’autres canaux (accueil au guichet, téléphone), accessibles et en bon état de fonctionnement.
> Les autorités publiques doivent/devraient imposer aux acteurs privés (banques par exemple) et publics (administrations notamment) de maintenir d’autres canaux de qualité, en premier lieu le canal physique.
4) Le « tout numérique » multiplie les conséquences quand un problème surgit
> Par exemple, la cyber-attaque récente des services en ligne du SPF Wallonie a rendu impossibles des démarches administratives de base pour des millions de personnes et d’acteurs (associations, entreprises) pendant plusieurs semaines. [1]
> Autre exemple : les cyberattaques contre des hôpitaux, qui paralysent ou ralentissent la prise en charge des patients mais aussi impliquent des vols de données confidentielles.[2]
> On peut rapprocher ces événements de la coupure générale d’électricité qui a affecté l’Espagne et le Portugal fin avril 2025, suite à une défaillance inexpliquée.[3]
> Toute erreur humaine ou informatique peut ainsi prendre des proportions considérables, car des systèmes entiers sont automatisés et interconnectés.
> Le piratage d’un ordinateur ou d’une simple adresse mail a des conséquences multiples et parfois ingérables.
5) Le Numérique devient une nouvelle norme, qui n’est plus mise en question
> Les autorités tiennent pour acquis que chacun doit « s’adapter » aux outils numériques.
> Des services (guichets, formations) sont développés pour « réduire la fracture numérique », mais on n’y questionne jamais le bien-fondé de la numérisation (par exemple, les formations pour seniors se bornent à transmettre des techniques de maniement, sans réflexion sur les outils eux-mêmes).
> Globalement, la numérisation est le plus souvent décrite en termes techniques (matériel nécessaire, performances, mode d’emploi) sans interrogation de fond
> On entend dire que « Les jeunes et les enfants savent spontanément utiliser les outils numériques, mieux que la plupart des adultes. » En réalité, les jeunes (et les enfants) ont juste un savoir purement technique, superficiel. La plupart ignorent complètement ce qui se cache derrière les produits d’acteurs comme Facebook, Tik Tok, etc.
> Toute réflexion philosophique ou politique est malvenue et écartée dans les discours dominants (publics et privés) sur la numérisation et les outils numériques
6) La numérisation est justifiée par un certain nombre de fausses affirmations
> Par exemple, il est faux de dire que « Cela fait des économies ! » (élément à creuser)
> Il est faux aussi de dire que « C’est une technologie propre ! »… On utilise peut-être moins de papier, mais le coût environnemental et énergétique des outils numériques est colossal, tant pour les produire que pour les faire fonctionner.
7) La numérisation du monde est aussi un enjeu de santé publique
> Il y a les conséquences physiques des heures passées assis ou immobiles devant des écrans (sédentarité, maux de dos et de cervicales, dégradation de la vue, …)
> Il y a aussi les conséquences psychiques : on constate des addictions aux écrans et/ou à certaines applications (parfois provoquées par les concepteurs). Ces addictions nécessitent des « sevrages », comme pour l’alcoolisme (élément à documenter).
> Il y a enfin les conséquences sur nos systèmes nerveux et nos cerveaux, par exemple en termes de mémorisation, mais aussi de rapport au monde.
> Globalement, des effets sont observés par les enseignants sur les étudiants : ceux-ci n’ont parfois plus de raisons de mémoriser des apprentissages, car ceux-ci se trouvent sur Internet ; en outre, les étudiants n’écrivent plus à la main (ou de moins en moins), ce qui modifie leur façon d’assimiler des connaissances.
> Tout n’est pas négatif : certains outils numériques obtiennent de bons résultats pour assister certains apprentissages, par exemple avec des enfants dyspraxiques (information à creuser).
> Autre effet social global : une instabilité des rapports sociaux et des projections dans l’avenir. En effet, chacun est supposé joignable en permanence, donc une chose prévue peut être annulée ou modifiée à la dernière minute ; une relation commencée peut-être interrompue et remplacée n’importe quand, etc.
8) Une « colonisation des esprits » est à l’œuvre, par la voie numérique.
> On constate une montée en puissance, via Internet, de discours et d’acteurs réactionnaires (élection de Donald Trump, percées des extrêmes droites et des intégrismes religieux, promotions de modèles managériaux autoritaires, etc.)
> Les réseaux sociaux et les moteurs de recherche induisent (par la conception-même de leurs algorithmes), un enfermement de chacun dans une ou plusieurs « bulles cognitives ».
> Les possibilités de débats contradictoires et nuancés se raréfient.
9) TEMOIGNAGE : « Je préfère fonctionner à l’ancienne »
Une participante témoigne d’un usage très modéré de son téléphone portable (qui n’est pas un smartphone) :
> Téléphone souvent éteint, consulté à quelques moments de la journée
> Recours au téléphone fixe
> Avantage : moins de stress, plus de temps, pas de notification, pas d’addiction
> Désavantage : moins réactive face aux nouveaux rythmes de changements d’agendas (par exemple, réunion annulée à la dernière minute).
10) QUESTION : Si les pouvoirs publics pouvaient/voulaient intervenir et réguler davantage la numérisation encours, que devraient-ils faire ?
> Les participant.e.s s’alarment notamment de déferlements de haine en ligne, de racismes, de sexismes et de harcèlements prenant des dimensions ingérables (violences, menaces), mais aussi de réseaux de pornographie, de pédophilie, etc.
> Les participant.e.s évoquent spontanément des mesures de régulation des réseaux sociaux (« modération »), notamment pour protéger les publics plus jeunes et/ou plus fragiles, mais aussi pour préserver un certain état du débat démocratique.
> La problématique de la « modération » implique une réflexion sur les ressources financières et humaines nécessaires (si l’on veut que la modération ne soit pas elle-même confiée à des robots).
> Il y a un problème fondamental quand on veut réguler, c’est l’équilibre entre « régulation » et « protection de la vie privée » ou « liberté d’expression ». Par exemple, si on veut réguler l’âge d’accès à certains sites ou réseaux, alors que faire ? Imposer la connexion avec sa carte d’identité ? Mais alors, qu’en est-il des données communiquées (adresses, photos, …)
> Il y a des mesures qui semblent a priori bienvenues, mais qui ne sont pas tolérées par tout le monde : par exemple, l’interdiction des smartphones à l’intérieur de certaines écoles, de certains lieux de loisirs privés (spas, concerts).
11) QUESTION : Quelles seraient nos sources d’informations pour développer nos réflexions ?
Les participant.e.s nomment quelques-unes de leurs sources habituelles :
> Radios de la RTBF (en particulier les podcasts du journaliste Arnaud Ruyssen).[4]
> Outils de campagne/prospectus d’associations engagées (par exemple le « Manuel Anti-Fake » de l’asbl La Cible, contre la désinformation en ligne).[5]
> Conférences, conférences gesticulées, spectacles de théâtre-action sur le sujet
> Site belge recensant les tentatives d’arnaques en ligne (« phishing », etc)[6]
> Sites qui traquent les « canulars en ligne » (en anglais « hoax »).[7]
> Plusieurs auteurs de livres et d’articles de presse écrite. Entre autres : Matthieu Amiech, Peut-on s’opposer à l’informatisation de nos vies ? ; Eric Sadin, La siliconisation du monde ; Anne Alombert, Schizophrénie numérique : de l’intelligence artificielle à l’exploitation attentionnelle ; Serge Tisseron, L’emprise insidieuse des machines parlantes.
12) ACTION : Une initiative intéressante et inspirante : « La Face Cachée du Clic »
> Une participante a suivi cette série d’ateliers organisée par la Ligue des Familles, le CEMEA, les amis de la Terre, le FIJ et Abelli.[8]
> Les ateliers comportent 5 à 6 séances, destinées à un public intergénérationnel.
> Il s’agit dans ces ateliers de mieux comprendre « tout ce qui se passe quand on clique sur internet »
> Les ateliers invitent à aller « au delà des appareils et des antennes », en développant une vue globale des « écosystèmes numériques » (impliquant par exemple la problématique des satellites en orbite autour de la Terre, indispensable au fonctionnement de ces écosystèmes)
> La problématique de la collecte des données est également abordée. Un atelier décrit notamment l’interconnexion entre les entreprises qui collectent, transfèrent et commercialisent nos données.
13) ACTION : D’autres initiatives inspirantes d’Infor Famille Education Permanente
> Notre association propose aussi, à côté du cycle « Numericritic’ », l’atelier « Ecrans et Médias », qui propose des animations participatives pour réfléchir autour des écrans et des usages numériques.[9]
> Infor Famille Education Permanente a exploré ces problématiques précédemment, à plusieurs reprises, notamment avec la création du podcast « Fracture du Clic ». [10]
14) ACTION : Quelques informations à creuser…
> Est-ce que l’interdiction des smartphones dans les écoles est inscrite dans une loi ? Dépend-elle plutôt des écoles ?
> Quels sont les pays où les écoles ont testé puis restreint le « tout numérique » ?
> La déclaration d’impôt numérique va-t-elle/peut-elle être rendue obligatoire ?
15) ACTION : Que pourrions-nous créer ensemble ?
> Un petit support d’information ou d’invitation à l’action (tract, autocollant)
> Une création graphique ou une création théâtrale
> Une conférence ou un cycle de conférences, abordant différents aspects politiques, écologiques, philosophiques du sujet. Inviter par exemple Antoinette Rouvroy, de l’UNamur.[11]
> Des collaborations avec des partenaires travaillant sur ces problématiques (Les Amis de la Terre, La Ligue des Familles, Les Cemea, Inform’Ethique Namur, La maison de la Laïcité de Sainte-Walburge, le Centre Culturel d’Angleur, Les Equipes Populaires, ENEO, Liages, Vie Féminine, Soralia, Esenca).
16) ACTION : À qui adresser nos prises de positions et nos actions ?
> Aux écoles, aux enseignants, aux mouvements de jeunesse
> À des publics de personnes plus âgées ou des publics intergénérationnels
> À des publics moins sollicités et moins entendus (handicapés, par exemple)
> Aux politiques (y compris de proximité, comme le Collège communal)
> À « ceux de l’autre bord » (pas seulement aux convaincus)
> À des personnes qui apprennent le français (Alphabétisation, FLE)
Notre cycle NUMÉRICRITIC’ se poursuit le mercredi 28 mai 2025 à 13h30
Dans les locaux d’Infor Famille Education Permanente
8 Rue de Pitteurs, 4020 Liège
Une idée ? Une proposition ? Une demande ? Contactez-nous !
ep@inforfamille.be ou 04/222.45.86
À bientôt !
L’équipe d’Infor Famille Education Permanente
[1] Voir par exemple : https://www.rtbf.be/article/cyberattaque-contre-le-service-public-wallon-3-questions-qui-se-posent-derriere-le-piratage-11535397
[2] Voir notamment : https://www.rtbf.be/article/cyberattaques-en-belgique-les-hopitaux-parmi-les-plus-vises-11412417
[3] Voir https://legrandcontinent.eu/fr/2025/04/30/black-out-que-sest-il-passe-en-espagne-7-points-sur-les-causes-de-la-mega-coupure/
[4] Voir notamment « Quel est l’impact environnemental du numérique ? » : https://auvio.rtbf.be/media/les-cles-les-cles-3327188
[5] Voir https://lacible.be/wp-content/uploads/2023/10/FAKENEWS-BROCHURES-web.pdf
[6] Consulter https://safeonweb.be/fr
[7] Détails via ce lien : https://www.rtbf.be/article/hoaxbuster-et-hoax-net-deux-sites-internet-pour-lutter-contre-les-fake-news-9601268
[8] Voir par exemple https://liguedesfamilles.be/la-face-cachee-du-clic et https://agenda.collectifs.net/@amis_du_clic_ethique
[9] Voir https://inforfamille.be/evenement/atelier-ecrans-et-medias-en-collaboration-avec-le-mouvement-personne-dabord/
[10] Voir https://inforfamille.be/evenement/ecoute-collective-du-podcast-fracture-du-clic/
[11] Antoinette Rouvroy au micro d’Arnaud Ruyssen (RTBF) : https://auvio.rtbf.be/media/declic-le-tournant-declic-le-tournant-2965026